lundi 10 février 2025

Chapitre 4

 

Couleur : Jaune

Consigne : souvenir contrariant, obstacle imprévu

 

Tomoe a besoin de prendre l’air.  Il fait beau, le soleil d’hiver réchauffe la nature.  La neige a fondu.  Elle laisse son vélo à son domicile.  Chaussée de baskets, elle se balade nonchalamment jusqu’au parc voisin dont les rives de l’étang invitent à la contemplation.  L’eau est à peine ridée par les piqués d’un martin-pêcheur solitaire...

 

Elle songe à la conversation qu’elle a eue la veille avec Pierre.  Elle le recevait pour la première fois depuis quelques semaines alors que Tomek était parti faire la fête chez des amis de sa classe d’électricité.  Pour elle, la soirée se déroulait comme avant l’hébergement de l’ado, passant aisément de l’esprit de l’un à l’esprit de l’autre, quand tout à coup Pierre s’est levé, sentencieux !

-         Cendrillon ! La vie est pleine de carrosses mais peu sont éternels !  Tu as choisi un énorme appartement mais il reste vide faute de moyens.  Ce n’est pas le gamin qui va te renflouer !  Ce n’est pas tout le monde qui peut rouler en Rolls mais, c’est vrai, il suffit de se rendre chez un concessionnaire pour faire un tour d’essai.  Ce n’est pas ce qu’il fait à sa manière, Tomek ? 

-         Les voitures ne m’intéressent pas, mon vélo me convient parfaitement et les taxis me sont remboursés…

-         Pas en totalité ! 

-         Mon appartement est mon seul luxe !

-         Qui t’enfonce dans les problèmes…

-         On m’a souvent dit que j’avais les yeux plus grands que le ventre !  Mais n’est-ce pas naturel de vouloir une vie meilleure que celle qu’on a vécu jusqu’ici ? 

Dans une atmosphère glaciale, ils ont terminé la bouteille de Saint Amour puis Pierre s’en est allé de l’autre côté du palier.  En guise d’au revoir, ils se sont embrassés distraitement mais Pierre l’a serrée contre lui et son baiser a glissé vers les lèvres de Tomoe…  Elle s’est reculée avec pudeur…

-         J’ai servi du Saint Amour !  Qu’est-ce qu’il va encore croire ?  Que je souhaite retrouver l’ancienne complicité qui me manque, oui je l’avoue, et bazarder Tomek ?  Il se fourre le doigt dans l’œil !  Décidément, la jalousie survit à toute autre passion du genre humain !  Quelle conne je suis ! 

Elle lance violemment une pierre dans l’étang silencieux…

 

Le mystère du petit papier n’est toujours pas résolu.   Encore une fois : qui l’a dessiné et quand ?  Qui l’a placé derrière ce miroir qui aurait pu être acheté par n’importe qui ?   Et cette clé, comment est-elle arrivée dans sa cuisine, scotchée sous un tiroir ?   Ces questions l’obsèdent, la torturent, la rongent !

 

Quand elle rentre de sa longue escapade méditative, elle est surprise par la nouvelle décoration de l’imposant hall d’entrée de son immeuble.  « Le Baiser », la statue de Rodin, grandeur nature, trône sur un socle qui semble lourd…

-         Qu’est-ce que c’est que ça, Maria ?

-         Un cadeau de monsieur Pierre.  Il trouve que le hall est trop vide !  C’est lui qui l’a payée, les habitants de l’immeuble ne doivent pas participer !

-         Encore heureux !  Cette copie doit valoir une fortune…

-         Ça vient de, qu’est-ce qu’il m’a dit ? du musée du Cinquantenaire.  Il parait qu’ils font des copies pour les gens…

-         Ce « Baiser » garnit joliment le hall, il donne un certain cachet…

-         N’empêche, des gens qui s’embrassent tout nus devant tout le monde !  Y’a quand même des enfants qui passent dans cette entrée…

 

Tome se regarde dans le miroir en refermant sa porte derrière elle.  La vieille femme qu’elle y a vue un jour n’est jamais réapparue.  Depuis, c’est No Kanetô Tomoe qui lui sourit.  Ce soir, No Kanetô Tomoe, habillée comme lors de son voyage en Egypte avec Pierre, lui rappelle une remontée du Nil qui date de plusieurs mois déjà !

 

On sonne alors qu’elle n’a pas encore eu le temps de se mettre à l’aise.  C’est Maria avec un bouquet de fleurs !

-         Merci pour Tomek !  Il a réussi, il a son certificat !  Je m’excuse, je veux bien reprendre le ménage si vous voulez...  La clé, je sais c’est de quoi !

 

695  mots !

Les deux phrases en italique sont tirées de « Mrs Dalloway » de Virginia Woolf

11 commentaires:

  1. Bonjour Jan,

    Comme Tomoe et Pierre, j’aime les grands crus du Beaujolais mais, comme chante Catherine Ringer, « Les histoires d’amour finissent toujours mal ».

    Maria, heureuse pour Tomek, doit être d’une autre époque pour être choquée par le baiser d’un couple nu (reproduction en plâtre ou en terre cuite je suppose) qui pourrait dévoyer les enfants… ( ils en ont vu tant d’autres nos braves petits).

    Si je comprends, bien que Maria sache ce que la clé peut ouvrir, il nous faudra être patient pour connaître le mot de la fin. Nous l’attendrons avec plaisir.

    Curieux de lire la suite des aventures de Tomoe, de Tomek et de Pierre.
    Cordialement, Christian (et merci pour tes commentaires)

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  2. Bonjour Jan,
    Chassé-croisé amoureux entre Pierre et Tomoe... Il lui sert du Saint-Amour espérant un retour de sentiment de la part de la jeune femme.
    Avec la copie de la statue, placée au vu et au su de tout le monde dans le hall de l'immeuble, veut-il afficher son amour au grand jour ?
    Comment la jeune femme va-t-elle réagir ? Se laisser séduire ? -elle se rappelle leurs vacances en Egypte- ou au contraire mettre un terme à leur relation ?
    Bonne continuation, Jan et à bientôt pour la suite !
    Cathy

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  3. Jalousie consciente ou inconsciente??? Qui sait? Que veut Pierre? Est-ce possible? Ton personnage semble être passé à autre chose, même si c'est momentané. Les plats réchauffés sont-ils toujours aussi bons? Tomoe ne semble pas chercher de relation amoureuse ... Pierre pense-t-il à l'amour ou autre chose lui trotte-t-il dans la tête? Les trios sont toujours intéressants à développer car il ouvrent les portent à plein de choses...

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  4. Bonjour Jan,

    J'apprécie toujours autant ton écriture qui fait vivre tes personnages et ton histoire. Pour preuve, la réflexion de Maria concernant le Baiser de Rodin, dont il faudrait protéger les enfants. On comprend tout de suite le milieu social dans lequel vivent Maria et son fils. J'ai ri !

    Pierre est jaloux, ça crève les yeux ! Je ne sais plus s'il a apporté la bouteille de Saint-Amour ou si c'est Tomoe qui l'a achetée, mais acheter une copie grandeur nature du Baiser pour la placer dans l'entrée de l'immeuble, c'est un appel du pied à peine camouflé. Son insistance auprès de Tomoe aura-t-elle raison de la résistance de la jeune femme ? Je le trouve un peu mêle-tout de se mêler de la façon de dépenser son argent, du moment qu'elle ne se plaint pas et qu'elle ne demande rien à personne. Je le trouve aussi fort peu sûr de lui pour être jaloux d'un petit voisin, un ado.

    Restent des mystères autour du tableau. On se posait déjà des questions concernant le papier au dos du tableau, on se demande maintenant comment la clef (neuve !) est arrivée dans la cuisine et comment Maria peut lever le mystère. Que sait-elle, et comment le sait-elle ?

    Mène bien ton enquête, Inspecteur !

    Marie-Claire

    Restent

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  5. Bonjour Jan,,
    Non seulement Pierre est jaloux et manque assez de confiance en lui pour voir en Tomek un rival mais il est aussi très maladroit car ce n'est pas ainsi qu'il donnera une valeur affective et personnalisée à son geste grandiose de payer une copie du Baiser qui profitera à tous les habitants de l'immeuble et ne lui rapportera pas la reconnaissance ou l'admiration de Tomoé. Il serait plus adroit de prendre Tomek sous son aile protectrice en payant à sa place un loyer à Tomoe et faire ainsi d'une "pierre" deux coups. Les dépenses inconsidérées qu'il reproche à Tomoe, il s'en rend coupable aussi.
    A moins, allez savoir comment ?, qu'il y ait dans cette copie du Baiser quelque chose, un indice, qui réponde aux mystères qui entourent le miroir : papier et clef. Raisonnement tiré par les cheveux sans doute...
    et on s''éloigne d'une vérité détenue, on ne sait ni comment ni pourquoi , par Maria. A moins que Tomek en sache beaucoup plus et que ce soit lui qui ait fabriqué ou commandé la nouvelle clef...
    Enfin, je suis bien sûre que tu as ton idée la-dessus et sinon que tu en trouveras une qui nous surprendra tous.
    Au plaisir,
    Gisèle

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  6. Bonjour Jan,
    Comment ce fait-il que Maria sache "de quoi" il s'agit? C'est à la fois calme et dynamique; les personnages bougent, avancent, certains se remettent en question un peu, d'autres p

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  7. (oups...c'est parti tout seul; sorry, je continue)...,d'autres pas assez.
    Dynamique avec ce court instant de retour à l'étang; puis vers le "papier" et la "clé".
    Parfois calme, et on se calme , on philosophe : " vouloir une vie meilleure que celle que l'on à connu jusqu'à présent"(!).
    Et puis, et puis...il y a ce noeud central, cette jalousie qui bouscule, qui gêne...
    Alors vient ce que l'on attend depuis le début : le baiser. De marbre? Pas certain. Vous avez dit "cadeau"?
    Allez, Maria, raconte! On veut savoir !
    Merci et bonne journée!
    Patrick

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  8. Bonjour, Jan…
    On retrouve tes personnages avec toujours autant de plaisir. Et chacun avec les traits de caractères qu’on lui a déjà découverts.
    Autant Tomoe fait preuve de lucidité et de constance dans ses choix, autant Pierre me paraît lourd dans ses tentatives de séduction et ses allusions critiques du mode de vie de Tomoe. Et la statue du hall d'entrée, que tout le monde apprécie, ressemble fort à un geste ostentatoire! Jusqu’où Pierre va-t-il s’appesantir?
    A noter incidemment, les petites phrases en italique et entre parenthèses : pas innocentes, je parie…
    Autre relance de l’action : l’irruption joyeuse de Maria qui aurait trouvé LA solution. A découvrir sous peu, j’imagine.
    J’attends…!
    Amicalement,
    Micheline.

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  9. Bonjour Jan,
    Ton texte se lit d'une traite.
    Toutes mes félicitation pour la réussite de Tomek.
    Est-ce que Tomek va bientôt décider de quitter l'appartement de Tomeo et s'envoler vers d'autres cieux et dans ce cas comment va t'il s'y prendre? Peut-être grâce à l'aide de Pierre le généreux?
    Comment Tomeo va mettre ses idées au claires et se décider à saisir les prochaines opportunités à venir? Eh oui, il y'a une clef qui va bientôt ouvrir vers de nouveaux chemins. Maria est elle le cerveau de ce mystère? Comment sait elle pour la clef?
    Merci.
    Bon dimanche.
    Nadera

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  10. Bonjour Jan

    L’idée du Baiser de Rodin dans le hall de l’immeuble est une trouvaille ! Décidément ton personnage de Pierre est plein de surprises. Est-ce qu’il espère ainsi tenter sa jolie voisine ?
    Bien vu aussi le comportement un peu erratique de Tomoe qui d’une part organise un dîner de séduction et d’autre part ne veut pas se laisser séduire. Et très logiquement sa colère contre elle-même qui s’ensuit.
    Enfin le retour de Maria permet de détendre l’atmosphère et surtout de rappeler très habilement, sans insister, les points forts du récit, les éléments encore en suspens. Merci pour le lecteur.
    A propos de la qualité de l’écriture – justesse des dialogues, force de l’intrigue, précision des détails, analyse psychologique des personnages – je te renvoie aux commentaires de tes lecteurs.
    Dans ton prochain texte, sous le signe du noir, un problème qui touchera un proche -Tomek ? Pierre ? Maria ? viendra compliquer la vie deTomoe.
    Bon travail,
    Liliane

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  11. Bonjour Jan,
    Quelle surprise cette tension soudaine entre Pierre et Tomoe ! C'est comme un coup de tonnerre dans un ciel serein.
    Et puis ce baiser presque volé au moment de se quitter. Baiser qui se fera rappeler par la sculpture placée dans le hall d'immeuble.
    Et nouveau coup de tonnerre final quand Maria toute heureuse du succès de Tomek dit tour d'un coup qu'elle connait l'utilité de la clé.
    Aussi attendre pour lire la suite est une épreuve.
    Vivement ton prochain chapitre.
    Amitiés,
    José

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Texte final

  Le dernier regard…     Prologue   Il fait froid.   La nuit est déjà bien avancée.   La mare étale, pareille à un miroir, reflè...