Couleur : Jaune
Consigne : souvenir contrariant, obstacle imprévu
Tomoe a besoin de prendre l’air. Il fait beau, le soleil d’hiver réchauffe la nature. La neige a fondu. Elle laisse son vélo à son domicile. Chaussée de baskets, elle se balade nonchalamment jusqu’au parc voisin dont les rives de l’étang invitent à la contemplation. L’eau est à peine ridée par les piqués d’un martin-pêcheur solitaire...
Elle songe à la conversation qu’elle a eue la veille avec Pierre. Elle le recevait pour la première fois depuis quelques semaines alors que Tomek était parti faire la fête chez des amis de sa classe d’électricité. Pour elle, la soirée se déroulait comme avant l’hébergement de l’ado, passant aisément de l’esprit de l’un à l’esprit de l’autre, quand tout à coup Pierre s’est levé, sentencieux !
- Cendrillon ! La vie est pleine de carrosses mais peu sont éternels ! Tu as choisi un énorme appartement mais il reste vide faute de moyens. Ce n’est pas le gamin qui va te renflouer ! Ce n’est pas tout le monde qui peut rouler en Rolls mais, c’est vrai, il suffit de se rendre chez un concessionnaire pour faire un tour d’essai. Ce n’est pas ce qu’il fait à sa manière, Tomek ?
- Les voitures ne m’intéressent pas, mon vélo me convient parfaitement et les taxis me sont remboursés…
- Pas en totalité !
- Mon appartement est mon seul luxe !
- Qui t’enfonce dans les problèmes…
- On m’a souvent dit que j’avais les yeux plus grands que le ventre ! Mais n’est-ce pas naturel de vouloir une vie meilleure que celle qu’on a vécu jusqu’ici ?
Dans une atmosphère glaciale, ils ont terminé la bouteille de Saint Amour puis Pierre s’en est allé de l’autre côté du palier. En guise d’au revoir, ils se sont embrassés distraitement mais Pierre l’a serrée contre lui et son baiser a glissé vers les lèvres de Tomoe… Elle s’est reculée avec pudeur…
- J’ai servi du Saint Amour ! Qu’est-ce qu’il va encore croire ? Que je souhaite retrouver l’ancienne complicité qui me manque, oui je l’avoue, et bazarder Tomek ? Il se fourre le doigt dans l’œil ! Décidément, la jalousie survit à toute autre passion du genre humain ! Quelle conne je suis !
Elle lance violemment une pierre dans l’étang silencieux…
Le mystère du petit papier n’est toujours pas résolu. Encore une fois : qui l’a dessiné et quand ? Qui l’a placé derrière ce miroir qui aurait pu être acheté par n’importe qui ? Et cette clé, comment est-elle arrivée dans sa cuisine, scotchée sous un tiroir ? Ces questions l’obsèdent, la torturent, la rongent !
Quand elle rentre de sa longue escapade méditative, elle est surprise par la nouvelle décoration de l’imposant hall d’entrée de son immeuble. « Le Baiser », la statue de Rodin, grandeur nature, trône sur un socle qui semble lourd…
- Qu’est-ce que c’est que ça, Maria ?
- Un cadeau de monsieur Pierre. Il trouve que le hall est trop vide ! C’est lui qui l’a payée, les habitants de l’immeuble ne doivent pas participer !
- Encore heureux ! Cette copie doit valoir une fortune…
- Ça vient de, qu’est-ce qu’il m’a dit ? du musée du Cinquantenaire. Il parait qu’ils font des copies pour les gens…
- Ce « Baiser » garnit joliment le hall, il donne un certain cachet…
- N’empêche, des gens qui s’embrassent tout nus devant tout le monde ! Y’a quand même des enfants qui passent dans cette entrée…
Tome se regarde dans le miroir en refermant sa porte derrière elle. La vieille femme qu’elle y a vue un jour n’est jamais réapparue. Depuis, c’est No Kanetô Tomoe qui lui sourit. Ce soir, No Kanetô Tomoe, habillée comme lors de son voyage en Egypte avec Pierre, lui rappelle une remontée du Nil qui date de plusieurs mois déjà !
On sonne alors qu’elle n’a pas encore eu le temps de se mettre à l’aise. C’est Maria avec un bouquet de fleurs !
- Merci pour Tomek ! Il a réussi, il a son certificat ! Je m’excuse, je veux bien reprendre le ménage si vous voulez... La clé, je sais c’est de quoi !
⁎
695 mots !
Les deux phrases en italique sont tirées de « Mrs Dalloway » de Virginia Woolf