lundi 2 décembre 2024

Chapitre 1

 

 

Couleur : vert

Consigne : problèmes d’argent

 

Heureuse, oui, elle est heureuse face au miroir, Tomoe.

Elle retrouve cette jouissance de son enfance quand elle se regardait dans celui de la petite coiffeuse, rose comme tous les jouets offerts aux filles.

Elle se souvient toujours de cette image trop petite qui ne pouvait que lui rendre une image parcellaire d’elle-même.  Cette image l’a forgée comme elle est aujourd’hui.  Image fascinante, appréciée souvent, combattue plus encore…

 

Ce soir, c’est spaghetti chez elle !  Pierre, son voisin pressant, a apporté un Médoc de derrière les fagots.  Deux bouteilles !  Il faut bien ça pour l’apéro et le plat a-t-il dit.  Tomoe achève de dresser la table, elle dépose trois couverts… 

-         Tomek n’arrive pas.  Ce n’est pas son habitude d’être en retard !

Pierre s’étonne :

-         Ah ?  Il est prévu celui-là ?

-         Ben oui !  Faut le remercier pour avoir accroché le miroir…

-         Un joint l’aurait comblé, non ?

-         Oh, jaloux !

-         Moi ?  D’un gamin de seize ans ?   Qui n’a même pas un poil au menton ?

-         Mais si, tu es jaloux de ce môme…

On sonne à la porte.  Tomek apparaît, visiblement très énervé.  Il se précipite à l’intérieur.  Son bonjour est laconique :

-         Je peux dormir chez toi ?  Ma mère m’a encore une fois disputé !  Pressé, il se  frotte contre le mur…

-         Attention au miroir, tu vas le faire tomber !

Du salon d’où il assiste à cette irruption, Pierre crie :

-         Pas grave, il sait comment le raccrocher !

D’un haussement d’épaule Tomoe le fait taire et sert un coca à Tomek.

-         Calme-toi, que s’est-il passé ?

 

Il est vingt-trois heures.  Le généraliste qui commence tôt ses consultations à domicile prend congé.  Narquois, et en prenant bien soin d’être entendu par Tomoe, il ne peut s’empêcher de « chuchoter » à Tomek :

-         Tu peux dormir chez moi si tu veux, j’ai une chambre d’amis… en traversant le palier pour rentrer chez lui.

-         Quel con, ce mec !  Pourquoi tu lui fais à manger à ce bâtard ?

-         Autant être bien avec ses voisins, non ?  C’est une distraction, sans plus et cela m’occupe une soirée…  Et puis, il apporte toujours une bonne bouteille…  Alors la vérité, maintenant que Pierre est parti ?

-         Ma mère a brûlé ma réserve de shit !…

-         Les pigeons sur le toit auront eu une bonne bouffée !

-         Ouais, c’est comique, merci !

-         Je dois encore en avoir quelques grammes, regarde dans la cuisine.  Je vais chercher les draps pour la chambre d’amis…

 

Dernier coup d’œil au miroir dont la buée se transforme en larmes d’angoisse.  Elle ne peut s’empêcher de se torturer l’esprit.  Chaque fois qu’elle rejoint son lit, elle pense à ce qui l’attend le lendemain.  Le boulot, certes, mais aussi les problèmes posés par son appartement…

 

Fraîchement entrée dans le staff des interprètes-traductrices, fonction très rémunératrice, elle s’était immédiatement engagée à racheter son logement.  Deux-cents trente mètres carrés, un coup de folie !  Aujourd’hui, dix ans après et d’importants frais de rénovation, elle ne peut payer ses mensualités qu’avec d’énormes difficultés.

Elle n’était pas vraiment inconsciente à l’époque.  Trop optimiste, elle comptait sur la chance d’hériter d’une tante mourante qui la tenait en haute estime.  Hélas, à la lecture du testament, elle a dû faire son deuil de la somme espérée, allée comme tous les biens de la tante à une association d’aide aux animaux…

-         Bah !  C’est le printemps, demain est un autre jour, se console-t-elle tant bien que mal…

 

Le lendemain, après le passage rituel par la salle de bain, elle constate le départ discret de Tomek qui a replié les draps et mis la bouilloire à chauffer pour le thé de son hôtesse …!

-         Gentil, le gamin !  Quel idiot, ce Pierre !

 

Il est l’heure de quitter l’appartement.  Elle jette un dernier coup d’œil au miroir vénitien.  Elle ne se voit pas.  Il semble à nouveau embué.  Quand ce semblant de brouillard s’estompe, elle voit une femme habillée comme elle mais ne la reconnaît pas !

 

686 mots.

8 commentaires:

  1. Bonjour Jan,

    Pierre serait-il jaloux comme l’affirme avec ironie Tomoe. Et serait-il, bisexuel comme le laisse à penser son invitation « chuchotée » à Tomek. Pour Tomoe, Pierre, n’est qu’un idiot, une distraction pour occuper sa soirée. Comment cette relation évoluera-t-elle ?

    Tomek est furieux et on peu le comprendre au prix du gramme du shit mais Tomoe vient à la rescousse… Tomek, finalement, c’est tout de même « un gentil garçon ». Et, là aussi on peut se poser la question, comment évoluera cette relation ?

    Tomoe a des difficultés financières. Comment en sortira-t-elle ? Elle pourrait s’adresser à son double du miroir vénitien !

    Au plaisir de lire la suite. Cordialement, Christian

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  2. Bonjour Jan,
    Depuis quand Maria est-elle la femme de ménage de Tomoe ?
    Depuis quel âge Tomoe se procure-t-elle du shit ? Puisque ce shit est quelque part dans la cuisine, Maria sait qu'elle en a . Qu'en pense-t-elle ? Est-ce la première fois qu'elle dépanne Tomek ? Et-ce que Maria pourrait l'accuser d'y avoir initié son fils ?

    Sur le plan de la construction du texte, j'ai l'impression que le miroir est le baromètre de l'humeur de Tomoe. C'est lui qui dit ses sentiments alors que ce que tu nous donnes à voir et à entendre d'elle la montre détachée, presque dissociée de ses pensées profondes.
    Elle passe un moment de détente avec le médecin prétendant et le jeune homme amoureux (mais on n'en voit rien, il est surtout en colère et peut-être un tout petit peu en manque de shit) et elle ne partage rien de ses soucis ; elle est juste disponible pour eux.
    Il y a un écartèlement, un éclatement entre Tomoe heureuse dans le miroir, Tomoe dont le miroir est en larmes, Tomoe devant son miroir qui refuse (?) de la réverbérer, Tomoe qui se voit non plus morcelée comme l'enfant qu'elle était devant son rose miroir mais méconnaissable, sans éclat, sans espoir. Elle passe devant nos yeux par tous ces états en moins de 700 mots. C'est puissant.
    Bravo Jan !

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  3. Bonjour Jan,
    Je reconnais que j’adore ce petit passage de « jalousie ». Notamment le « Pas grave, il sait comment le raccrocher ». Bien jouer aussi le « Les pigeons sur le toit auront eu une bonne bouffée ! ».
    Bref, on s’amuse….dans un cadre où, pourtant, il y a quelque chose de …dramatique. Car , franchement, dans l’ensemble du texte, en fait, rien ne va ! Même si rien n’est grave.
    Quant au miroir, tu travailles dès le début sur l’image du personnage, en jouant d’abord sur l’enfance suivie de la vieillesse à la fin.
    Le problème d’argent est bien présent par contre je cherche la verdure…
    On sent dans le personnage , notamment dans ce texte, une certaine séduction, voire une séduction certaine. Je me demande, au-delà de son job, qui pose quand même un problème, quelle place Tomoe laisse-t-elle au plaisir (notamment quand elle refuse de sortir avec ses collègues dans le prologue) ? Plus encore, à la famille ? Depuis quand a-t-elle laissé du temps pour sa famille, que je ne vois pas apparaitre ?
    Je m’amuse bien en tout cas.
    A bientôt
    Patrick

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  4. Bonjour Jan,
    Texte vivant très chouette? J'adore les pointes d'ironies.
    J'aime la chute qui ne me paraît pas être optimiste pour la suite et
    "Dernier coup d’œil au miroir dont la buée se transforme en larmes d’angoisse" : belle trouvaille ! Depuis quand le miroir lui envoie des messages ? Va t'elle pouvoir décoder ce que lui renvoie son miroir?
    Super!
    Nadera


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  5. Bonjour Jan,
    Difficiles les relations en triangle!
    Tomoe est le fléau d'une balance. D'un côté, Pierre et de l'autre, Tomek. Les plateaux ne sont pas en équilibre. Tomek remplit l'espace de Tomoe et Pierre ne semble invité que pour entretenir les bonnes relations de voisinage. Il doit être malheureux, dis donc!
    J'aime ses répliques ironiques qui traduisent à coup sûr sa jalousie.
    Les dialogues sont très naturels. Pas de surcharge littéraire. On voit, les personnages, on les entend, on les imagine bien.

    Depuis quand Tomoe se procure-t-elle du shit? Est-ce pour sa consommation personnelle ou pour dépanner Tomek à l'occasion?
    Et depuis quand Tomek cherche-t-il refuge chez elle?

    Le miroir semble exprimer concrètement les ressentis de Tomoe, il fluctue comme la météo, la rend heureuse ou s'embue au point qu'elle ne se voit plus telle qu'elle est.
    Enfin du "vert...j'espère... " Tu y fais allusion quand elle dit "Bah! C'est le printemps, demain est un autre jour".
    Ton texte est très agréable à lire. Que nous réserve Tomoe?
    La suite au prochain numéro!
    Merci, Jan!
    Colette

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  6. Bonjour Jan,

    Un texte agréable, vivant et qui sonne juste. On sent cette ambiance à la fois amicale et légèrement tendue du fait de la rivalité des deux coqs. Quelle bonne idée aussi d’opposer un homme et un gamin, un médecin et un ado drogué, tous les deux sympa.
    Tu saupoudres le tout de juste ce qu’il faut de mystère, d’inquiétude, pour que le lecteur ait envie d’en savoir plus. A ce point de vue, la chute est très habile.
    Tu t’en tires bien avec la consigne : un problème d’argent. Après avoir annoncé dans le prologue que Tomoe était à l’abri du besoin grâce à son salaire de traductrice aux Commissions européennes, ce n’était pas gagné et tu as trouvé une astuce tout à fait crédible.
    Comme tes autres lecteurs, je suis intriguée par la relation entre Tomoe et son miroir qui contribue à créer un climat anxiogène, à brouiller l’image !
    Une question cependant : pourquoi dis-tu qu’elle a racheté son appartement. Elle l’avait vendu ? Dans quelles circonstances ?
    Un autre détail.
    « Pressé, il se frotte contre le mur… »
    Pressé de quoi ? Et pourquoi se frotter contre le mur. La chose à laquelle je pense en premier, c’est qu’il a besoin d’aller aux toilettes. Si c’est le cas, je remplacerais se frotte par « se tortiller », mais je ne vois pas l’intérêt de ce détail. Je suppose que c’est plutôt un signe qu’il est en manque ? Il me semble que « pressé » ne convient pas, qu’il faudrait peut-être donner un indice plus clair du fait qu’il est en manque.
    Dans ton prochain texte qui sera bleu, Tomoe va trouver un objet ou un document, rencontrer une personne qui suscite un souvenir, souvenir qui va l’aider à gérer son problème d’argent.

    Bon travail,
    Liliane

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  7. Bonsoir Jan,
    Ton héroïne joue au chat et à la souris avec les deux hommes qu'elle cotoye. Est-elle si innocente qu'elle le prétend ? Cherche-t-elle à attiser la jalousie entre Pierre et Tomek ? Comment va-t-elle agir pour assainir ses finances . Elle semble à la limite financièrement. Vendre de la drogue ? Y-a-t-elle pensé ?
    A bientôt,
    Cathy

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  8. Bonjour Jan,

    Comme toujours c'est enlevé et prenant. On est happé par ton récit et ton style.
    Qui plus est c'est finement observé ; les répliques sonnent juste.
    Je me demande depuis combien de temps Tomoe se sent seule et angoissée. Et voilà que ce miroir va encore plus la troubler.
    J'ai hâte de lire la suite.
    Bonne fin d'année,
    José

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Texte final

  Le dernier regard…     Prologue   Il fait froid.   La nuit est déjà bien avancée.   La mare étale, pareille à un miroir, reflè...