Fiche d’identité du personnage :
Nom : Delhaye
Prénom : Scarlett
Age : 55 ans
Adresse : Quartier du Midi à Bruxelles
Situation familiale : Célibataire
PROLOGUE
À peine la clef glissée dans la serrure, des miaulements , pareils à des sirènes d’alerte, retentirent derrière la porte. Rhett et Ashley, sentinelles impatientes postées sur le paillasson, se faufilèrent entre les jambes de leur maîtresse dès que la porte d’entrée s’entrouvrit.
- Bon sang de bonsoir, attendez au moins que je pose mon sac ! s’exclama-t-elle, la voix teintée d’agacement.
Sans même retirer sa veste, Scarlett fila vers la cuisine, faisant résonner ses pas dans tout l’appartement. Elle remplit les gamelles à ras bord, seule offrande capable d’acheter quelques minutes de répit. Les deux félins se jetèrent sur leurs croquettes avec la voracité de fauves, et le silence, enfin, s’installa. Elle put alors se servir un grand verre d’eau du robinet qu’elle avala d’une traite, tant elle était assoiffée après avoir gravi les trois étages.
Dans sa tête, la voix de sa sœur résonna aussitôt, claire et tranchante :
-Enfin Scarlett, pourquoi n'achètes-tu pas de l’eau en bouteille ! C’est plus sain ! Qu’est-ce qu’elle en savait, Isabelle ? Elle était chimiste ? Facile à dire, quand on vivait dans une maison à Watermael-Boisfort, avec un mari costaud qui portait les casiers. Scarlett, elle, n’avait que ses bras et sa solitude. Une solitude ancienne, tenace, qui s’accrochait à elle comme une ombre fidèle. Jamais son cœur n’avait battu à l’unisson avec celui d’un homme. Était-ce mieux ainsi ? Elle se posait la question chaque fois que le cafard, sournois, lui tenait compagnie.
La cuisine, comme le reste de l’appartement, étincelait. Trop propre. Trop lisse. Cela manquait d’âme, pensait-elle, comme une maison témoin où rien ne vit vraiment. Pourtant, cet ordre presque monacal la rassurait plus qu’il ne l’oppressait : un cocon glacé, mais sûr.
Dans le frigo, son souper l’attendait : un reste de blanquette qu’elle réchaufferait doucement. Mais avant cela, elle se lava les mains avec soin, frottant ses doigts vigoureusement comme pour effacer les traces invisibles du métro. Ce dernier lui laissait toujours une impression désagréable, avec sa pellicule de fatigue et de crasse. Mais elle n’avait pas le choix : la ligne quatre-vingt-un l’emmenait directement au Centre de Tri Postal d’Anderlecht, où elle travaillait depuis plus de trente ans. Elle portait toujours des gants pour éviter le contact poisseux des mains courantes, mais aujourd’hui, elle les avait oubliés dans son casier. Pas son genre pourtant. Qu’est-ce qui avait pu la distraire ? Le regard échangé entre Robert, le chef de service, et la petite stagiaire arrivée il y a à peine trois semaines ? Elle allait les avoir à l’œil, ces deux-là.
Scarlett s’affala dans le canapé, ouvrit son sac pour y faire le tri : son rituel préféré, une façon de décompresser après sa journée de travail. Mais Rhett et Ashley, en maîtres absolus, bondirent sur ses genoux et s’y installèrent sans demander son avis.
Elle se souvenait encore de sa visite au refuge : même pelage roux et deux paires d’yeux verts braqués sur elle. Impossible de choisir. Alors elle les avait pris tous les deux. Et pour les noms... l’évidence : un pied de nez au destin qui l’avait affublée d’un prénom trop grand pour elle. Scarlett… Petite, boulotte, les jambes comme des poteaux et une carrure en toit de clocher. Rien à voir avec la flamboyante Scarlett O’Hara. Et toujours la même rengaine : un sourire poli, ou la réplique culte « Demain est un autre jour ». Tout ça à cause de son père, qui, après avoir bu un coup de trop, avait lâché ce prénom à l’officier d’état civil. Trop tard pour revenir en arrière.
Au retour, à peine dégrisé, il s’était fait copieusement remonter les bretelles par sa femme. Mais voilà, le mal était fait. Cependant , quelques années plus tard, à la naissance d' Isabelle, sa femme avait pris les devants :
- Je te préviens Edgar, si cette fois, tu changes le prénom que j’ai choisi, ce n’est plus la peine de rentrer à la maison.
Scarlett sourit, presque malgré elle, en repensant à la scène, puis plongea la main dans son sac et en ressortit une poignée d’enveloppes.
-Allez, dit-elle aux deux matous, voyons si la pêche du jour a été bonne…
